UN engin rapide de l’Université était posé sur le bras d’accostage de la Tour. Les gardes qui en étaient sortis fouillaient l’appartement et la coupole. Sur la terrasse, près de l’arbre de soie, Coban parlait à Païkan. Il venait de lui expliquer pourquoi il avait besoin d’Eléa, et de lui annoncer son évasion.

— Elle a détruit tout ce qui l’empêchait de passer, hommes, portes et murs ! J’ai pu suivre sa trace comme celle d’un projectile jusqu’à la rue, où elle est redevenue une passante libre.

Les gardes interrompirent Coban pour lui faire savoir qu’Eléa n’était ni dans l’appartement ni dans la coupole. Il leur ordonna de fouiller la terrasse.

— Je me doute bien qu’elle n’y est pas, dit-il à Païkan. Elle savait que j’allais venir droit ici. Mais moi je sais qu’elle n’a qu’un désir : vous rejoindre. Elle viendra, ou bien elle vous fera connaître où elle est, pour que vous la rejoigniez. Alors nous la reprendrons. C’est inévitable. Mais nous allons perdre beaucoup de temps. Si elle vous appelle, faites-le-lui comprendre, dites-lui de revenir à l’Université...

— Non, dit Païkan.

Coban le regarda avec gravité et tristesse.

— Vous n’êtes pas un génie, Païkan, mais vous êtes intelligent. Et vous êtes à Eléa ?

— Je suis à Eléa ! dit Païkan.

— Si elle entre dans l’Abri, elle vivra. Si elle n’y entre pas, elle mourra. Elle est intelligente et résolue. L’ordinateur l’a bien choisie, elle vient de le prouver. Il se peut que, malgré notre surveillance, elle réussisse à vous rejoindre. Alors, c’est à vous de la convaincre de revenir près de moi. Avec moi, elle vivra ; avec vous, elle mourra. Dans l’Abri, c’est la vie. Hors de l’Abri, c’est la mort dans quelques jours, peut-être dans quelques heures. Que préférez-vous ? Qu’elle vive sans vous, ou qu’elle meure avec vous ?

Ebranlé, torturé, furieux, Païkan cria :

— Pourquoi ne choisissez-vous pas une autre femme ?

— Ce n’est plus possible. Eléa a reçu la seule dose disponible de sérum universel. Faute de ce sérum, aucun organisme humain ne pourrait traverser le froid absolu sans subir de graves dommages et peut-être périr.

Les gardes vinrent dire à Coban qu’Eléa n’était pas dans la terrasse.

— Elle est quelque part à proximité, elle attend que nous soyons partis, dit-il. La Tour restera sous surveillance. Vous ne pouvez pas vous réunir sans que nous le sachions. Mais si par miracle vous réussissez à le faire, rappelez-vous que vous avez le choix entre sa vie et sa mort...

Coban et les gardes regagnèrent l’engin qui s’éleva de quelques centimètres au-dessus du bras d’accostage, tourna sur place et s’éloigna en accélération maximum.

Païkan s’approcha de la rampe et regarda en l’air. Un engin frappé de l’équation de Zoran décrivait des cercles lents autour de la verticale de la Tour.

Païkan activa l’écran de proximité et le dirigea vers les maisons de loisir posées au sol tout autour de la Tour.

Partout il vit des visages de gardes qui le regardaient à travers leur propre écran.

Il entra dans l’appartement, ouvrit l’ascenseur. Un garde était debout dans la cabine. Il referma la porte, rageur, et il monta dans la coupole. Il se planta debout au milieu de la pièce transparente, regarda le ciel pur où l’engin de l’Université continuait de tourner lentement, leva les bras en croix, doigts écartés, et commença les gestes de la tempête.

Devant lui, assez haut, un petit nuage blanc joufflu naquit dans le bleu du ciel. Un peu partout dans le ciel de la Tour naquirent des petits nuages blancs charmants, qui transformaient l’azur en un grand pré fleuri. Rapidement, ils se développèrent et se rejoignirent, ne formèrent plus qu’une masse qui s’épaissit et devint noire, et se mit à tourner sur elle-même en grondant de tonnerres prisonniers. Le vent courba les arbres de la terrasse, atteignit le sol, hurla en se déchirant sur les ruines, et secoua les maisons de loisir.

Le visage du chef de service apparut sur la tablette. Il semblait affolé.

— Ecoutez, Païkan ! Qu’est-ce qui se passe chez vous ? Qu’est-ce que c’est que cette tornade ? Qu’est-ce que vous faites ? Vous devenez fou ?

— Je ne fais rien, dit Païkan. La coupole est bloquée ! Envoyez-moi l’atelier, vite ! Ce n’est qu’une tornade, ça va devenir un cyclone ! Faites vite !

Le chef de service cracha des mots désagréables, et disparut.

Le nuage tournoyant était devenu vert, avec de brusques illuminations internes pourpres ou mauves. Un bruit effrayant, continu, en tombait vers la terre, le bruit de mille tonnerres retenus. Une gerbe d’éclairs creva sa surface et frappa l’engin de l’Université, qui disparut en une flamme.

Dans le fracas qui suivit et ébranla la Tour, Païkan descendit en courant vers l’appartement et la terrasse et plongea dans la piscine.

Eléa était là, au fond, enfoncée dans le sable, le visage recouvert de son masque et dissimulé sous des algues. Elle vit arriver Païkan qui lui faisait signe. Elle jaillit alors de sa cachette et remonta avec lui à la surface. Des trombes d’eau tombaient du nuage, emportées par un vent tourbillonnant qui secouait les maisons de loisir cramponnées à leurs ancres. Une rafale s’enroula autour de la Tour et essaya de l’arracher. La Tour gémit et résista. Le vent emporta l’arbre de soie qui monta, échevelé, vers le nuage, et disparut dans une bouche noire.

Païkan avait entraîné Eléa dans la Coupole. Le bas du nuage venait d’atteindre celle-ci et se déchirait sur elle, mélange de vent hurlant, de brume opaque, de pluie et de grêle, illuminé par la succession des éclairs. Ils achevaient de boucler leur ceinture d’arme quand ils virent arriver l’atelier, qui colla son nez contre une glace de la Coupole. Païkan ouvrit. Deux dépanneurs sautèrent dans la Tour, accompagnés par les hurlements et les canonnades de la tornade.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda l’un d’eux, effaré.

Au lieu de répondre, Païkan plongea sa main dans son arme et tira sur l’Ame de la Coupole qui résonna, gémit et s’écrasa. Il saisit Eléa, la projeta vers le nez ouvert de l’atelier, bondit derrière elle et décolla aussitôt, tandis qu’à grand-peine elle refermait la glace conique. L’atelier disparut dans l’épaisseur du nuage.

C’était  un  engin  lourd,  lent,  peu  maniable, mais qui ne craignait aucune forme d’ouragan. Païkan brisa l’émetteur qui signalait sans cesse la position de l’appareil, tourna dans le nuage qui crépitait autour d’eux, et en gagna le centre qui se déplaçait vers l’ouest, suivant l’impulsion qu’il lui avait donnée. La Coupole morte, il faudrait l’intervention des autres Tours pour modifier le cours de la tornade et la neutraliser. Cela laissait assez de temps pour exécuter le début du plan que Païkan exposait à Eléa :

La seule solution pour eux était de quitter Gondawa et de gagner Lamoss, la nation neutre. Pour cela, il fallait rompre la piste, se poser et prendre un engin longue distance. Ils ne pouvaient en trouver un que dans un parking, dans la ville souterraine.

Les engins de l’Université n’oseraient pas se risquer dans un tel orage, de peur de voir leur champ de non-gravité perturbé, et de tomber comme des pierres. Mais ils devaient faire bonne garde tout autour. Il fallait donc gagner l’emplacement d’un ascenseur en restant camouflé par le nuage, et protégé par la ronde de la foudre.

Païkan fit descendre l’atelier à la limite inférieure du nuage. Le sol, balayé par les torrents de la pluie, étincelait à dix hauteurs d’homme à peine, sous la lumière des éclairs. C’était la grande plaine vitrifiée. Les derniers ascenseurs de Gonda 7 ne devaient pas être loin. Eléa en vit surgir un dans la brume. Païkan posa brutalement l’atelier. A peine au sol, ils en sortirent en courant et braquèrent sur lui leurs deux armes à la fois. Le vent hurlant emporta sa poussière.

C’était un ascenseur rapide, qui gagnait directement la 5e Profondeur. Cela n’avait pas grande importance, chaque Profondeur possédait ses parkings. Ils gagnèrent la cabine de soins express. Quand l’ascenseur s’ouvrit pour les laisser sortir, ils étaient lavés, séchés, peignés, brossés. Ils avaient payé avec leur clé.

Dans l’Avenue de transport, la foule paraissait à la fois nerveuse et hébétée. Des images surgissaient partout pour donner les dernières nouvelles. Il fallait enfoncer sa clé dans la plaque son pour entendre les paroles. Appuyés à la branche élastique d’un arbre, sur la piste de grande vitesse, ils virent et entendirent le président Lokan faire des déclarations rassurantes. Non, ce n’était pas la guerre. Pas encore. Le Conseil ferait tout ce qu’il était possible de faire pour l’éviter. Mais chaque vivant de Gondawa était prié de ne pas s’éloigner de son poste de mobilisation. La Nation pouvait avoir besoin de tous d’un moment à l’autre.

La plupart des Gondas hommes et femmes portaient la ceinture d’arme et, sans doute, dissimulée quelque part sur eux, la Graine noire.

Les oiseaux ne connaissaient pas les nouvelles, les oiseaux jouaient, en sifflant de plaisir, à battre de vitesse la piste centrale. Eléa sourit et leva le bras gauche à la verticale au-dessus de sa tête, le poing fermé, l’index horizontal. Un oiseau jaune freina en plein élan et se posa sur le doigt tendu. Eléa l’amena à la hauteur de son visage et l’appuya contre sa joue. Il était doux et chaud. Elle sentait son cœur battre si vite qu’on eût dit une vibration. Elle lui chanta quelques mots d’amitié. Il répondit par un sifflement aigu, sauta du doigt d’Eléa sur sa tête, lui donna quelques coups de bec dans les cheveux, battit des ailes et se laissa emporter par un vol qui passait. Eléa posa sa main dans la main de Païkan.

Ils descendirent de l’Avenue dans le Parking. C’était une forêt en éventail. Les branches des arbres se rejoignaient au-dessus des files d’engins en stationnement. Les pistes convergeaient vers la rampe de la cheminée de départ. De la cheminée d’arrivée, qui s’ouvrait au centre de la forêt, tombaient des engins de toutes tailles qui suivaient les pistes de retour pour gagner un abri sous les feuilles, comme des bêtes au repos après la course.

Païkan choisit un deux-places rapide longue distance, s’assit dans un des deux sièges, Eléa près de lui.

Il enfonça sa clé dans la plaque de commande, attendant pour indiquer sa destination que le signal bleu de la plaque se mît à clignoter. Le signal ne s’alluma pas.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Il retira sa bague de la plaque et l’enfonça de nouveau.

Le signal ne répondit pas.

— Essaie la tienne...

Eléa enfonça à son tour sa clé dans le métal élastique, mais sans plus de succès.

— Il est en dérangement, dit Païkan. Un autre, vite !...

Au moment où ils se levaient pour sortir, le diffuseur de l’engin se mit à parler. La voix les figea. C’était celle de Coban.

— Eléa, Païkan, nous savons où vous êtes. Ne bougez plus. Je vous envoie chercher. Vous ne pouvez aller nulle part, j’ai fait annuler vos comptes à l’ordinateur central. Vous n’obtiendrez plus rien avec vos clés. Elles ne peuvent plus vous servir à rien. Qu’à vous signaler. Qu’espérez-vous encore ? Ne bougez plus, je vous envoie chercher...

Ils n’eurent pas besoin de se concerter. Ils sautèrent hors de l’appareil et s’éloignèrent rapidement. Main dans la main, ils traversèrent une piste devant le nez d’un engin qui freina pile, et s’enfoncèrent sous les arbres. Des milliers d’oiseaux chantaient dans les feuillages verts ou pourpres, autour des branches lumineuses. Les chuintements à peine audibles des moteurs au ralenti composaient un bruit de fond apaisant qui incitait à ne rien faire, à attendre, à se confondre avec la joie des oiseaux et des feuilles. Dans la lumière verte et dorée, ils arrivèrent au bout d’une nouvelle file d’engins longue distance. Le dernier venait à peine d’y prendre sa place. Un voyageur en descendait. Païkan leva son arme et tira à faible puissance. L’homme fut projeté et traîné au sol, assommé. Païkan courut vers lui, le prit sous les bras, le traîna sous une branche basse et s’accroupit près de lui. Il eut énormément de peine à lui arracher sa clé. L’homme était gras, sa bague enfoncée dans la chair. Il dut cracher sur le doigt pour parvenir à la faire glisser. Quand la bague céda enfin, il était prêt à couper le doigt, la gorge, n’importe quoi pour emporter Eléa loin de Coban et de la guerre.

Ils montèrent dans l’engin encore chaud, et Païkan enfonça la clé dans la plaque de commande. Au lieu du signal bleu, ce fut un signal jaune qui se mit à palpiter. La porte de l’engin se ferma en claquant et le diffuseur de bord se mit à hurler : « Clé volée ! Clé volée ! » A l’extérieur de l’engin, un avertisseur couinait.

Païkan tira sur la porte. Ils bondirent au-dehors et s’éloignèrent à l’abri des arbres. Derrière eux l’avertisseur continuait de pousser son appel grinçant, et le diffuseur de crier : « Clé volée ! Clé volée ! »

Les voyageurs qui se dirigeaient vers les engins ou en sortaient prêtaient peu d’attention à l’incident. Des soucis plus graves les faisaient se hâter. Au-dessus de l’entrée des Treize Rues, une énorme image montrait la bataille de la Lune. Les deux camps la bombardaient avec leurs armes nucléaires, la hérissant de champignons, creusant de gigantesques cratères, fissurant ses continents, vaporisant ses mers, dispersant son atmosphère dans le vide. Les passants s’arrêtaient, regardaient un instant, repartaient plus vite. Chaque famille avait un allié ou un parent dans les garnisons de la Lune ou de Mars.

Au moment où Eléa et Païkan s’engouffraient dans la onzième rue, la cheminée d’arrivée du parking livra passage à une grappe d’engins de l’Université qui se dirigèrent vers toutes les pistes et toutes les entrées.

La onzième rue était pleine d’une foule fiévreuse. Des groupes s’aggloméraient devant les images officielles qui transmettaient les nouvelles de la Lune ou la dernière déclaration du Président. De temps en temps, quelqu’un qui n’avait pas encore entendu ses paroles enfonçait sa clé dans la plaque son, et Lokan prononçait une fois de plus les mêmes mots rassurants : « Ce n’est pas encore la guerre... »

— Qu’est-ce qu’il leur faut ? cria un garçon maigre au torse nu, aux cheveux courts. C’est déjà la guerre si vous l’acceptez ! Dites non avec les étudiants ! Non à la guerre ! Non ! Non ! Non !

Sa protestation ne souleva aucun écho. Les gens proches de lui s’éloignèrent et se dispersèrent isolés ou main dans la main. Ils avaient conscience que crier non ou oui ou n’importe quoi ne servait plus maintenant à quoi que ce fût.

Eléa et Païkan se hâtaient vers l’entrée de l’ascenseur en commun, espérant se glisser dans la foule pour gagner la surface. Une fois dehors, ils aviseraient. Ils n’avaient pas le temps de réfléchir maintenant. Les gardes verts apparaissaient déjà au bout de la rue. Ils barraient d’une triple file toute la largeur de la voie et avançaient en vérifiant l’identité de chacun. La foule s’inquiétait et s’énervait.

— Qu’est-ce qu’ils cherchent ?

— Un espion !

— Un Enisor !

— Il y a un Enisor dans la 5e Profondeur !

— Tout un commando d’Enisors ! Des saboteurs !

— Attention ! Ecoutez-et-regardez !

L’image de Coban venait de surgir au milieu de la rue.  Elle se répétait tous les cinquante pas, dominant la foule et les arbres, répétant le même geste et prononçant les mêmes paroles.

— Ecoutez-et-regardez. Je suis Coban. Je cherche Eléa 3-19-07-91. Voici son visage.

Un portrait d’Eléa, pris quelques heures plus tôt dans le labo, sauta à la place de Coban. Eléa se tourna vers Païkan et blottit son visage dans sa poitrine.

— Ne crains rien ! dit-il doucement.

Il lui caressa la joue, glissa une main sous son bras, défit l’extrémité de sa bande de buste, lui dénuda une épaule et, avec la partie de la bande ainsi dégagée, lui enveloppa le cou, le menton, le front et les cheveux. C’était une tenue que les hommes et les femmes adoptaient parfois, qui ne la ferait pas remarquer, et qui laissait peu de possibilités de la reconnaître.

— Je cherche cette femme pour la sauver. Si vous savez où elle est, signalez-la. Mais ne la touchez pas... Ecoutez, Eléa ! Je sais que vous m’entendez. Signalez-vous avec votre clé, en l’enfonçant dans n’importe quelle plaque. Signalez-vous et ne bougez plus. Ecoutez-et-regardez, je cherche cette femme, Eléa 3-19-07-91...

 

Un homme l’a reconnue. C’est un sans-clé. Il l’a reconnue à ses yeux. Il n’y a pas de bleu aussi bleu dans les yeux d’aucune autre femme, ni à Gonda 7, ni peut-être dans tout le continent. L’homme est appuyé contre le mur, entre deux troncs grimpants, sous les branches où pendent les machines distributrices d’eau, de nourriture et des mille objets nécessaires ou superflus qu’on peut obtenir avec sa clé. Lui ne peut plus rien obtenir. Il est un paria, un sans-clé, il n’a plus de compte, il ne peut vivre que de mendicité. Il tend la main, et les gens qui viennent se servir dans la forêt des machines multicolores lui donnent le fond d’un gobelet, ou un peu de nourriture qu’il mange ou glisse dans son sac de ceinture. Pour cacher la honteuse nudité de son doigt sans bague, il porte autour de la phalange du majeur un ruban noir.

Il a vu Eléa se blottir contre Païkan, et celui-ci lui dissimuler le visage. Mais quand elle a relevé la tête pour regarder Païkan, il a vu ses yeux, et il a reconnu les yeux bleus de l’image.

 

Les gardes verts approchaient lentement, inexorablement. Chaque personne interpellée enfonçait sa clé dans une plaque fixée au poignet du garde. Celle de toute personne recherchée y serait restée enfoncée et fixée, la faisant prisonnière. Eléa et Païkan s’éloignèrent. Le sans-clé les suivit.

Ils n’avaient jamais pris l’ascenseur-en-commun, fréquenté surtout par les moins-bien-désignés, ceux qui ne se tenaient pas par la main, et avaient besoin de la compagnie des autres. Ils surent qu’ils ne le prendraient pas davantage maintenant : les portes pivotantes ne laissaient passer qu’une personne à la fois, avec sa clé enfoncée dans la plaque...

Ils ne prendraient ni cet ascenseur, ni aucun autre, ni les avenues de transport, ni nourriture, ni boisson. Rien. Ils ne pouvaient plus rien obtenir.

Une image gigantesque d’Eléa emplit brusquement toute la largeur de la rue.

— L’Université cherche cette femme, Eléa 3-19-07-91. Elle la cherche pour la sauver. Si vous la voyez, ne-la-saisissez-pas-ne-la-touchez-pas Suivez-la et signalez-la. Nous la cherchons pour la sauver. Ecoutez, Eléa, je sais que vous m’entendez... Signalez-vous avec votre clé !

— Ils me regardent ! Ils me regardent ! dit Eléa.

— Non, dit Païkan. Ils ne peuvent pas te reconnaître.

— Vous la reconnaîtrez à ses yeux, quel que soit son camouflage. Regardez les yeux de cette femme. Nous la cherchons pour la sauver.

— Baisse les paupières ! Regarde par terre !...

Une triple file de gardes verts déboucha au carrefour de la onzième rue et de la Transversale, et s’avança à la rencontre des autres. Il n’y avait plus d’issue. Païkan jeta autour de lui un regard désespéré.

— Regardez bien les yeux de cette femme...

Chacun des yeux de l’image était grand comme un arbre, et le bleu de l’iris était une porte ouverte dans le ciel de la nuit. Les paillettes d’or y brillaient comme des feux. L’image tournait lentement pour que chacun pût la voir de face et de profil.

Accablée par cette présence démesurée d’elle-même, Eléa baissait la tête, courbait le dos, crispait sa main sur la main de Païkan qui l’entraînait vers les portes de l’Avenue, dans l’espoir de s’y faufiler par la sortie. L’image impalpable leur barrait la route. Ils arrivèrent tout près d’elle. Eléa s’arrêta et leva la tête. Du haut de son visage gigantesque, ses yeux immenses la regardaient dans les yeux.

— Viens... dit doucement Païkan.

Il la tira vers lui, elle se remit à marcher, un brouillard de mille couleurs frissonnantes l’enveloppa : ils étaient entrés dans l’image. Ils en émergèrent devant les portes d’accès de l’Avenue. Les battants de la sortie s’ouvrirent brusquement sous la poussée d’une foule d’étudiants qui couraient. Garçons et filles, tous avaient le torse nu, extrêmement maigre. Les filles s’étaient peint sur chaque sein un grand X rouge, pour nier leur féminité. Il n’y avait plus ni filles ni garçons, rien que des révoltés. Depuis le début de leur campagne, ils jeûnaient un jour sur deux, et le deuxième jour ne mangeaient que la ration énergétique. Ils étaient devenus durs et légers comme des flèches.

Ils couraient en scandant le mot « Pao » qui signifie « non » dans les deux langues gonda. Païkan et Eléa s’enfoncèrent parmi eux à contre-courant, pour franchir les battants avant qu’ils se referment.

— Pao !... Pao !... Pao !... Pao !...

Les étudiants les bousculaient et les entraînaient, ils repartaient en avant, Païkan écartant la foule comme une étrave. Les étudiants se cognaient sur eux, glissaient à gauche et à droite, semblaient ne pas les voir, hallucinés par la faim et par leur cri répété.

— Pao !... Pao !... Pao !... Pao !...

Ils parvinrent enfin à la porte. Mais un bloc l’emplit et déborda, les repoussant devant eux. C’était une compagnie de gardes blancs de la Police du Conseil, au coude à coude, la main gauche armée.

Froide, efficace, sans émotion, la Police blanche ne se montrait que pour agir. Ses membres étaient choisis par l’ordinateur avant l’âge de la Désignation. Ils ne recevaient pas de clé, ils n’avaient pas de compte de crédit, ils étaient élevés et entraînés dans un camp spécial au-dessous de la 9e Profondeur, au-dessous même du complexe des machines immobiles. Ils ne montaient jamais à la Surface, rarement au-dessus des machines. Leur univers était celui du Grand Lac Sauvage dont les eaux se perdaient dans les ténèbres d’une caverne inexplorable. Sur ses rives minérales, ils se livraient sans arrêt à des batailles sans pitié les uns contre les autres. Ils se battaient, dormaient, mangeaient, se battaient, dormaient, mangeaient. La nourriture qu’ils recevaient transformait en activité de combat leur énergie sexuelle inemployée. Quand le Conseil avait besoin d’eux, il en injectait une quantité plus ou moins importante où le besoin s’en faisait sentir, comme un organisme mobilise ses phagocytes contre un furoncle, et tout rentrait rapidement dans l’ordre. Ils étaient couverts, tête et pieds compris, d’un collant de matière blanche semblable à du cuir, qui ne laissait libre que le nez et les yeux. Personne n’avait jamais su quelle était la longueur de leurs cheveux. Ils portaient deux armes G, également de couleur blanche, l’une à la main gauche, l’autre sur le ventre, du côté droit. Ils étaient les seuls à pouvoir tirer des deux mains. Le Conseil les avait lancés dans la ville pour liquider la révolte des étudiants.

— Pao !... Pao !... Pao !... Pao !...

Le bloc des gardes blancs continuait à sortir, compact, des battants de l’Avenue, et s’avançait vers les étudiants dont les jupes multicolores tourbillonnaient dans la rue, escaladaient les arbres. La foule, sentant venir le choc, s’enfuyait vers toutes les issues possibles. Bloquée par les gardes verts aux deux extrémités de la rue, elle refluait vers les entrées des ascenseurs et de l’Avenue. Une image nouvelle du Président surgit à la voûte, horizontale, longue comme la rue, couchée au-dessus de la foule et parla.

Une image parlante sans clé était si exceptionnelle que tout le monde s’arrêta et écouta. Même les gardes.

— Ecoutez-et-regardez !... Je vous informe que le Conseil a décidé d’envoyer le Conseiller de l’Amitié Internationale à Lamoss, en priant le gouvernement énisor d’y envoyer son ministre équivalent. Notre but est d’essayer de cantonner la guerre aux territoires extérieurs, et de l’empêcher de s’étendre à la Terre. La Paix peut encore être sauvée !... Tous les vivants des catégories 1 à 26 doivent gagner immédiatement leur emplacement de mobilisation.

L’image fit un tête-à-queue et recommença son discours.

— Ecoutez-et-regardez !... Je vous informe...

— Pao !... Pao !... Pao !... Pao !...

Les étudiants avaient formé une pyramide. Au sommet, une fille aux seins barrés, brûlante de foi criait, les bras en croix :

— Pao ! Pao ! Ne l’écoutez pas ! N’allez pas à vos emplacements ! Refusez la guerre quelle qu’elle soit ! Dites NON ! Obligez le Conseil à déclarer la Paix ! Suivez-nous !!...

Un garde blanc tira. La fille emportée disparut dans la joue de l’image d’Eléa.

— Nous recherchons cette femme...

Les gardes foncèrent en tirant.

— Pao ! Pao ! Pao ! Pao !

La pyramide s’envola en morceaux qui étaient des garçons et des filles morts.

Païkan voulut enfoncer sa main dans son arme, mais elle n’était plus à sa ceinture. Il l’avait perdue, sans doute au moment où il avait cru la remettre à sa place en sautant de l’engin. La masse blanche compacte des gardes allait les atteindre, la foule fuyait, les étudiants criaient leur cri de révolte. Païkan plaqua Eléa au sol et se jeta sur elle. Un garde blanc les enjamba en courant. Païkan lui saisit au vol la pointe d’un pied et le retourna d’un coup sec. La cheville craqua. Le garde tomba sans crier. Païkan lui écrasa son genou sur les vertèbres cervicales et tira la tête en arrière à deux mains. Les vertèbres cassèrent. Païkan souleva la main gauche armée inerte et replia à fond les doigts enfoncés dans l’arme. Un paquet de gardes s’envola et s’écrasa contre le mur et le mur pulvérisé disparut dans un nuage. Derrière la brèche ouverte, les pistes de l’Avenue défilaient. La foule s’y engouffra en criant, Païkan et Eléa au milieu d’elle. Païkan emportait l’arme du mort. Les gardes blancs, indifférents, poursuivaient avec calme leur tâche d’extermination.

 

Ils quittèrent l’Avenue au Rond-Point du Parking. Le Parking, c’était le seul espoir, la seule issue. Païkan avait pensé à une autre façon de se procurer un engin. Mais il fallait arriver jusqu’à lui...

Au centre du Rond-Point se dressaient les douze troncs d’un Arbre rouge. Unis à la base, ils s’évasaient en corolle, se tenaient par leurs branches communes comme des enfants qui font une ronde. Très haut, leurs feuilles pourpres cachaient la voûte et frémissaient sous la multitude des pattes et des chants et des ailes des oiseaux cachés. Autour de leur pied commun tournait un ruisseau au fond duquel de petites tortues lumineuses soulevaient de leur tête plate des galets presque transparents, pour y chercher des vers et des larves. Haletante de soif, Eléa s’agenouilla au bord du ruisseau. Elle prit de l’eau dans ses mains et y plongea sa bouche. Elle la recracha avec horreur.

— Elle vient du lac de la 1ère Profondeur, dit Païkan. Tu le sais bien...

Elle le savait, mais elle avait soif. Cette merveilleuse eau claire était amère, salée, putride et tiède. C’était imbuvable, même à la minute de la mort. Païkan releva doucement Eléa et la serra contre lui. Il avait soif, il avait faim ; il était plus éprouvé qu’elle, car il n’avait pas le soutien du sérum universel. Aux branches au-dessus d’eux pendaient mille machines qui leur proposaient, en mille couleurs mouvantes, des boissons, de la nourriture, des jeux, du plaisir, du besoin. Il savait qu’il n’avait même pas la ressource de briser l’une ou l’autre, car à l’intérieur il n’y avait rien. Chacune fabriquait ce qu’elle avait à fabriquer, à partir de rien. Avec la clé.

— Viens, dit doucement Païkan.

La main dans la main, ils s’approchèrent de l’entrée du Parking. Elle était barrée par trois files de gardes verts. Dans chaque rue qui aboutissait au Rond-Point, une triple file s’avançait, refoulant devant elle des foules énervées et de plus en plus denses.

Païkan enfonça sa main dans l’arme, la décolla de sa ceinture, se tourna vers l’entrée du Parking, et leva l’avant-bras.

— Non ! dit Eléa. Ils ont des grenades.

Chaque garde portait à la ceinture une grenade S transparente, fragile, pleine de liquide vert. Il suffisait qu’une seule se brisât pour que toute la foule fût immédiatement endormie. Eléa portait en sautoir le masque qui lui avait déjà servi à l’Université et dans les profondeurs de la piscine, mais Païkan n’en avait pas.

— Je peux rester deux minutes sans respirer, dit Païkan. Mets ton masque. Et dès que j’aurai tiré, fonce.

Une image d’Eléa s’alluma brusquement au milieu de l’Arbre rouge et la voix de Coban s’éleva :

— Vous ne pourrez pas sortir de la ville. Toutes les issues sont gardées. Eléa, où que vous soyez, vous m’entendez. Signalez-vous avec votre clé. Païkan, pensez à elle et non à vous. Avec moi c’est la vie, avec vous c’est la mort. Sauvez-la.

— Tire ! dit Eléa.

Il respira à fond et tira à moyenne puissance.

Les gardes s’écroulèrent. Des grenades se brisèrent. Une brume verte emplit d’un seul coup le rond-point jusqu’à la voûte. La foule plia sur les genoux, bascula, se coucha. Du toit de feuilles des douze arbres des dizaines de milliers d’oiseaux tombèrent comme des flocons de toutes les couleurs estompés par la brume. Déjà Païkan entraînait Eléa en courant vers le Parking. Il courait, il enjambait les corps étendus, il restituait peu à peu l’air qui emplissait ses poumons. Il trébucha contre un genou levé. Il fit « ha ! », inspira malgré lui, s’endormit d’un bloc et, entraîné par son élan, plongea la tête en avant dans un ventre couché.

Eléa le retourna, le saisit sous les bras et se mit à le traîner.

— Vous n’y arriverez pas toute seule ! dit une voix nasillarde.

Près d’elle se dressait le sans-clé, le visage caché par un masque d’un vieux modèle, rapiécé et maintenu par des attaches de fortune.

Il se baissa et prit les pieds de Païkan.

— Par ici, dit-il.

Il conduisit Eléa et leur fardeau vers le mur, dans un recoin entre deux troncs grimpants. Il posa Païkan et regarda autour de lui. Il n’y avait pas un seul vivant debout à portée de vue. Il tira de sa besace une tige de fer façonnée, l’enfonça dans un trou du mur, tourna et poussa. Le pan du mur entre les deux troncs s’ouvrit comme une porte.

— Vite ! Vite !...

Un engin de l’Université se posait à l’entrée du Parking. Ils soulevèrent Païkan et entrèrent dans le trou noir.

La nuit des temps
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